mardi 11 décembre 2012

La crise peut-elle épargner le livre jeunesse ?


Lundi 3 décembre se tenait la journée des professionnels au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. J'ai pu notamment assister au débat intitulé "La crise peut-elle épargner le livre jeunesse ?", dont le casting était tout à fait brillant... Ayant pris des notes abondantes, je me permets de les partager avec vous. En vous souhaitant bonne lecture !

La crise peut-elle épargner le livre jeunesse ?

Les intervenants :

Ce qui s'est dit :

Alain Serres : On a observé cette année une baisse en volume significative de 4,5%, légèrement masquée par l’augmentation de la TVA dans la vente du livre. La vente en ligne a augmenté de 8 points, mais la baisse est encore plus significative dans les hypermarchés. Ces signes sont inquiétants, mais on observe + 8,5% en littérature de jeunesse ; le secteur n’a jamais été aussi important.

Pascale Lapierre : Il y a une modification sensible des comportements culturels. Le livre numérique augmente même s’il ne représente pas encore un marché aujourd’hui. La place de l’écran capte de plus en plus de temps, temps qui est moins consacré à la lecture, à tous les niveaux de lecteurs. La courbe ne s’inversera pas mais le livre résiste plutôt bien par rapport à l’assaut de ces nouveaux outils. Beaucoup de gens réfléchissent aux impacts et aux enjeux, sont au courant du phénomène.
Il faut respecter les envies et les achats des gens, mais il ne faudrait pas se retrouver dans la situation de la Grande-Bretagne ou de l’Espagne où la disparition des librairies a entraîné une baisse de la production. Notre meilleur rempart pour avoir la vitrine nécessaire pour accueillir la création reste la loi Lang et les libraires indépendants qu’elle protège.

Alain Serres : Ils permettent à nos livres d’exister.

Pascale Lapierre : Il y a aussi des gens de qualités dans les grandes chaînes, rien n’est simple.

Alain Serres : Les choix des politiques culturelles locales portent leurs fruits. Par exemple, le salon du livre d’Aubagne existe depuis 20 ans. Les enfants qui y venaient autrefois sont aujourd’hui parents et emmènent leurs propres enfants au salon. Mais il y a une hésitation face au prix du livre.

Jean-Pierre Siméon : Dans ce contexte de crise, la culture est-elle nécessaire ? C’est aux poètes qu’il faut poser sérieusement les questions politiques. Que serait un monde dont chaque conscience aurait cet appétit de l’inconnu ? Ce serait une société émancipée. La poésie, c’est l’éthique dont la politique a perdu le sens. Nous souffrons de la domination sans partage du libéralisme économique de marché, où l’humain est subordonné au commercial. Le poète est une objection à ça : pour lui, tout est subordonné à l’humain. Il faut revendiquer la poésie et le geste poétique : manifester l’insolence et la joie comme une objection à ça.
Tout livre est poésie, en tant qu’il provoque une émeute intérieure. Le livre de poésie se vend par capillarité et, contrairement à ce qui se dit, il se vend bien. Un million d’exemplaires ont été vendus d’Alcools d’Apollinaire. Mais il ne se vend pas selon les modes de l’édition commerciale courante, il a développé des réseaux de combat, le livre se transmet par relation, par proximité.
On n’a jamais autant lu de poésie. Les gens viennent lire et écouter des poètes inconnus partout en France, lors des « Printemps des Poètes ». Il faut s’appuyer sur ce processus de capillarité. La poésie fait partie des livres « de rotation lente » : la lenteur doit être notre fierté, elle est scandaleuse, elle dénonce ce qui nous prive d’exister.
Le poème demande de la lenteur pour être lu. Il demande : « arrête-toi et ne me juge pas sur ma carte d’identité ».

Robert Rui : L’imprimerie Clerc a connu une crise en 2012. Elle a été reprise par un industriel, qui ne donnait pas dans le livre mais qui est un amoureux des livres. L’imprimerie va mal en France et en Europe. Les parts de marché baissent au profit d’Internet. Mais le livre jeunesse résiste. La question se pose de l’impression en Asie, mais en France nous avons l’avantage de la réactivité.

Alain Serres : Il doit y a y avoir une nécessaire solidarité. C’est un vrai choix que de travailler en France, tant que faire ce peut. Dans certains cas, ce n’est pas possible car toutes les machines sont parties ailleurs. La situation est identique dans le domaine de la reliure.

Robert Rui : C’est un véritable drame pour les familles de ces petites villes de provinces avec de faibles bassins d’emploi, quand les imprimeries disparaissent. Les qualités des imprimeries françaises sont : la disponibilité des interlocuteurs, la qualité. Mais l’Asie est en train d’accroître sa qualité d’impression. Donc le principal atout des imprimeries françaises reste leur réactivité.

Pascale Lapierre : On aimerait que tous les livres puissent être imprimés en France mais parfois il y a une question de coût. Ce sont toujours des arbitrages très douloureux. Les livres animés ne peuvent plus être imprimés en France car ils nécessitent des manipulations complexes et chères.

Alain Serres : Chez Rue du Monde, nous faisons un autre choix (imprimer en France, de manière écologique, etc.), que nous assumons. Ce sont des choix moteurs, clairs, volontaires, et nous y arrivons. De plus, ces critères sont de plus en plus regardés par les lecteurs lors de l’achat. Les mouvements autour des AMAP ont aussi leur raison d’être dans le domaine du livre.

Pascale Lapierre : Il y a de la place aussi pour ce type d’éditeurs exigeants.

Philippe Meirieu : Le fait de militer pour qu’il y ait encore des livres papiers chez les éditeurs, des librairies qui ne soit pas virtuelles, à proximité, n’est pas une question technique mais d’abord une question politique qui procède des problèmes sur les commerces de proximité, l’artisanat, etc.
Il faut bien sûr rémunérer les acteurs de la chaîne du livre, mais par valeur d’usage et du service rendu, et non par valeur spéculative. Il faut se battre pour la qualité à tous les niveaux. Et pour que les petits acteurs puissent continuer à travailler, il est important pour maintenir la littérature jeunesse de pratiquer :
-          La désidération : les enfants vivent dans la sidération, c'est-à-dire ce qui tétanise et empêche de réfléchir, les écrans, la brièveté, la surenchère des effets visuels. On passe son temps à se regarder soi-même. Il faut entrer dans la réflexion.
-          La décélération : il faut sortir du culte de l’immédiateté. C’est la responsabilité de l’école de prendre le temps de se confronter aux autres et aux œuvres, de tâtonner.
-          La défragmentation : la vision en « cœur de cible » fait qu’on ne regarde même plus le journal de vingt heures ensemble : il y a différentes chaînes pour différents publics. On vit dans des tubes juxtaposés, on ne communique plus. Nous sommes dans une société de tuyaux d’orgues. Le livre (et le livre de jeunesse en particulier) est un outil de transgression. Les grands-parents achètent et lisent avec leurs petits enfants. Ceux-ci veulent que l’on relise, car il ne s’agit plus d’une lecture mécanique et fonctionnelle, mais d’une redécouverte intergénérationnelle de l’ordre du symbolique. Tout le monde s’y retrouve, on n’est pas seul, mais on est dans le dialogue. C’est l’inverse du face à face solitaire avec l’écran, qui est un comportement compulsif et pulsionnel qui empêche de faire société.
Il faut donner les moyens à tous les acteurs de la chaîne du livre de faire leur métier sans en être réduit à être des quêteurs.
Il faut plus de moyens et d’équité pour l’achat de livres dans les écoles. Le livre, c’est l’affaire de ceux qui viennent pour s’intégrer. L’école doit être l’école du livre, elle doit avoir un effet thermostatique, elle a la responsabilité de la rééquilibration pour que le développement de l’enfant se face de manière harmonieuse, pour lutter contre une certaine toxicité psychique (il suffit d’écouter Skyrock le vendredi soir). On doit lire à l’école plus qu’on ne le fait. L’école en France est plus catholique que protestante (il n’y a pas d’accès direct au texte). Il y a beaucoup de progrès à faire. Par exemple, il faudrait baisser les crédits des manuels scolaires pour augmenter les crédits consacrés à l’achat de vrais livres et mettre différents manuels en classe dans les matières où ils sont vraiment nécessaires (comme l’histoire-géographie) pour pouvoir les comparer. La France est très en retard dans la place que le système scolaire donne au livre. Le livre est le lieu privilégié de la rencontre avec l’œuvre.

Alain Serres : Nous sommes tous fondamentalement optimistes, sinon, on ne se battrait pas.

Jean-Pierre Siméon : Dans la question du papier et du numérique, pourquoi l’un remplacerait-il l’autre ? Les comportements sont différents entre le livre et le numérique. On est capables de deux lectures. Le livre durera car il fait appel à un type de comportement concret, physique. La calligraphie n’a pas perdu son sens avec l’imprimerie, la marche à pieds avec la voiture. 90% des livres vont disparaître (les livres informationnels), mais les autres, la poésie, vont rester.

Lucie Placin : Même si les auteurs et les illustrateurs restent rêveurs et demandeurs, ils exercent un métier très difficile. Pour en vivre, il faudrait publier sept livres par an, et cela suffirait à peine. Nous sommes payés en à-valoir, puis il faut dépasser les 5000 exemplaires en ventes. Lorsque c’est le cas, ce que l’on gagne suffit à peine à payer les très fortes cotisations auxquels nous sommes soumis. Au bout d’un an, le livre part au pilon et disparaît. Parfois, on observe dans les salons que ce sont les enfants qui savent prendre le temps de découvrir les livres, bien plus que les adultes.

Pascale Lapierre : Dans la bande dessinée et la jeunesse, on atteint une limite. Il y a 70 000 nouveautés en France, c’est pourquoi on n’arrive pas à faire durer les livres plus de six mois. Pourtant, les enfants grandissent, on ne devrait pas avoir à renouveler constamment les catalogues. Mais il est nécessaire d’écrire et de publier pour vivre.

Alain Serres : Quand les ventes baissent, les éditeurs font plus de livres pour maquiller les chiffres et espérer le gros lot. C’est une course effrénée à la surproduction. Plutôt qu’en faire plus, on devrait mieux partager, pour que plus d’enfants aient des livres à la maison. Combattre pour le partage de la culture est décisif pour le milieu culturel.

Jean-Pierre Siméon : Le Printemps des poètes est une association avec de petits moyens. Elle est financée par les ministères de l’éducation et de la culture. Les subsides de l’éducation ont baissé de 2/3 entre 2002 et 2012 tandis que ceux du CNL restaient stables. Récemment, le nouveau ministre a prévu d’une réduction drastique des subventions. Si rien n’est fait, la disparition de la manifestation et du centre de ressources permanent qu’elle représente est prévue pour mai – juin 2013. Une pétition a été mise en place pour soutenir le Printemps des poètes.

jeudi 22 novembre 2012

La réponse inattendue



J'ai ouvert ce blog pour résoudre un problème simple, un problème d'identité. Sauf que je n'en avais pas encore conscience. Je venais dans les faits de devenir BAS, mais je n'arrivais pas à m'approprier cette nouvelle étiquette. Depuis plusieurs années, j'étais, dans de nombreuses facettes de mon quotidien, une aspirante bibliothécaire, voire une aspirante conservatrice. C'est pourquoi j'ai commencé ici à parler de concours : c'est l'état d'esprit dans lequel j'étais depuis longtemps et je n'avais pas encore réussi à faire le deuil de cette part de moi.
Et puis j'ai renoncé à concourir, j'ai décidé de me donner le temps de découvrir mon nouveau métier. J'ai eu quelques surprises, j'ai eu du mal à m'y faire, j'ai beaucoup tâtonné. Autour de moi, le reste de ma vie aussi était en mutation. J'ai appris à vivre dans une ville nouvelle, dans une disposition différente, dans un mode de vie différent.
J'ai passé un été mouvementé, à me demander si un jour je pourrais revenir vraiment à ma vie d'avant. Comme toujours, c'est en remontant dans le train que je me suis aperçue qu'en fait, je m'étais bien réhabituée à la vie de province et que je m'interrogeais un peu quant à l'idée de redevenir parisienne.
Enfin, l'automne est arrivé et je me suis aperçue que la métamorphose avait pris. Comme ça, sans faire de bruit. J'ai enfin le sentiment d'avoir une identité un peu stable, malgré le monde toujours mouvant autour de moi. Même si tout n'est pas encore parfaitement en place, je suis heureuse d'avoir une vie qui me permette à la fois d'exercer un métier que j'aime, de retourner régulièrement dans ma région de cœur, et parfois de partir loin, d'aller à l'aventure. Car pour pouvoir s'échapper, il faut aussi savoir que l'on peut revenir. Il faut un point de départ, un point de chute. Et au travers de mon identité professionnelle, c'est un peu ça que j'ai récupéré.

Tout ça pour dire que je reviens de Londres où j'ai passé trois jours passionnants, à faire des choses sans rapport avec le monde bibliothéconomique et à rencontrer des gens merveilleux. Mais, au soir du dernier jour, alors que j'allais repartir pour la gare, j'ai longé un bâtiment au travers des vitres duquel on pouvait voir un groupe d'enfants très animé en train d'encourager deux petits qui jouaient à un jeu vidéo. C'était la section enfant de la St Pancras Community Library.
Qu'auriez-vous fait ? Bien sûr, je suis entrée. Le tournoi FIFA 13 du jour était publicisé en grand sur les portes de la bibliothèque. Dès l'entrée, on tombait sur les présentoirs de DVD (tous très récents) et de jeux vidéos, dans une présentation tenant plus du magasin de location que de la bibliothèque traditionnelle. A droite, l'espace "youth" avec d'innombrables clones de Twilight, à gauche, l'espace informatique aux ordinateurs flambants neufs et deux automates de prêt. Le fonds était très restreint (c'est vraiment une petite bibliothèque) mais très récent et très orienté vers les besoins du public (uniquement des guides de voyages dans les 900 par exemple). Les fictions, dans de petites étagères basses, étaient divisées entre "romances" et "thrillers". Un groupe de tous âges discutait dans le petit "study space" et semblait comparer des cartes de visite. Pendant les quelques minutes que m'a pris ce petit tour des lieux, je n'ai pu réprimer le grand sourire sur mes lèvres. A ce moment-là, je n'étais plus une simple touriste dans la capitale britannique, j'étais une bibliothécaire en goguette. J'étais une bibliothécaire.

Depuis plusieurs semaines, je jouais avec l'idée de fermer ce blog. Je n'ai plus de problème, j'ai enfin trouvé mon identité professionnelle, je n'ai donc plus grand chose à dire sur le sujet et mes billets brillent surtout par leur absence. Je ne sais pas si je continuerais à écrire ici. Je crois qu'en fait, je préfère que le monde du travail reste entre les murs de mon établissement, pas vraiment qu'il entre dans l'intimité de mes soirées et de mon ordinateur portable. Mais peut-être continuerais-je à venir partager ici quelques pensées ou quelques trouvailles. Parce que, même en fermant la porte du bureau pour m'en retourner vers les affres de ma vie personnelle, même en randonnant à coeur joie sur un flanc de montagne, même en me baladant dans une ville inconnue, il semblerait qu'en fait, aux tréfonds de moi-même, je reste une bibliothécaire.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même au Highgate Cemetery de Londres en novembre 2012.
Ce texte et cette photo sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.

mardi 11 septembre 2012

L'étrange attrait de Paris



Voici un an que je suis en poste sur Paris. Je suis arrivée pleine d'excitation (pour mon nouveau travail) et d'angoisses (pour Paris). J'avais toujours voulu éviter la ville tentaculaire, son dédale souterrain, sa grisaille inhérente, ses banlieues infinies. Mais force est de l'admettre : je m'y suis bien habituée. Au point d'en arriver à un 50/50 dans ma liste avantages / inconvénients.

Déjà, il m'a bien fallut admettre que, oui, contrairement à la croyance populaire, le Soleil est effectivement présent même au nord de Lyon... Et Paris-même, dans le Soleil du matin, c'est tout à fait sympa. J'ai survécu à mon premier hiver parisien à grand renfort de simulateur d'aube et d'auto-persuasion, mais sans la dépression abyssale / carence en vitamine D que je craignais. Néanmoins, une chose est sûre : niveau neige, l'Ile-de-France, c'est vraiment pas ça.

Sur un autre plan, le gros plus de la capitale, c'est quand même les millions de choses à faire qui nous tombent dans le creux de la main sans avoir à bouger le petit doigt. Il y a le tourisme de base, avec tous ces monuments, ces bâtiments, ces cimetières et ces musées au mètre carré : je compte d'ailleurs bien investir dans un Routard pour m'assurer que j'ai bien vu tout ce qu'il y a à voir de ce côté-là, tant qu'à être sur place... Il y a la vie culturelle intense, avec plus de concerts, de spectacles, d'expositions, de conférences, de festivals qu'on ne pourrait en voir décemment, même en s'y mettant à temps plein. Et puis il y a les gens. Grande découverte : les grandes villes sont pleines de gens, et sans vraiment s'y attendre, on s'aperçoit qu'il y en a que l'on connaît dans le lot et que ce ne serait pas s'y mal de profiter de cette proximité géographique inédite...

Enfin, il y a le travail. J'ai eu cette chance immense d'arriver sur un poste extrêmement intéressant, dans un cadre idyllique (d'un point de vue strictement urbain en tout cas) avec des collègues pour la plupart charmants. (Coucou les collègues.) Mais il est vrai que d'un point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif, les offres d'emploi parisiennes tiennent la dragée haute aux autres départements.

Je ne sais pas si tous ces bons points me convaincront de rester ici à plus long terme. En tout cas, je n'exclus plus l'idée à grands cris d'horreur et d'effroi. Paris, c'est pas si mal : qui l'eût cru ?



Creative Commons LicensePhoto prise par Vincent Ros
Cette photo est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 2.0.

lundi 11 juin 2012

Jeux de langues




J'ai beaucoup râlé quand la réforme a fait devenir obligatoire une deuxième langue au concours de conservateur d'État. Il me semblait, et j'en suis encore convaincue, que la mesure réduisait encore les possibilités d'admission des candidats aux profils atypiques (plus de notes de synthèses différenciées, plus d'oraux scientifiques ou juridiques). Selon les autorités compétentes, les précédentes épreuves n'avaient pas permis de recruter des spécialistes. Ces modifications des épreuves ne restreigne-t-elle pas d'autant plus les possibilités de leurs recrutements ? Ne vont-elles pas seulement servir à reproduire encore un peu plus fidèlement les profils littéraires étriqués qui tendent à constituer le corps des conservateurs ? Au final, qui peut triompher de ce concours ? Combien d'entre nous peuvent se targuer d'être trilingue ?


Pourtant, je ne suis pas la plus mal lotie. Si en 2007, la version anglaise avait déjà disparu pour se transformer en épreuve orale, je n'aurais jamais eu la chance d'expérimenter les revers de l'admissibilité. Mais maintenant que les sujets de langues deviennent les supports à des prestations orales ne valant que pour l'admission, je reste assez sceptique quant à mes chances d'un jour les réussir.
Donc, alors même que j'ai retourné ma veste pour ne plus réviser directement les épreuves de ces chers concours, je profite d'une partie du temps que je me suis ainsi dégagée pour reprendre un peu mon allemand rouillé, mon faible italien, mon japonais si frêle qu'un coup de vent le ferait tomber par la fenêtre. C'est qu'en fait, j'aime bien les langues. Alors si un jour elles pouvaient m'aider un peu face à un jury ou au bas de mon CV... C'est toujours ça de pris.


A mon sens, l'apprentissage d'une langue, c'est un peu comme une grille de mots-croisés infinie, un sudoku de l'extrême, un amusement de l'esprit. J'aime à faire ainsi tourner mes méninges, pas tant pour la compétence finale que pour le plaisir du parcours. J'y vais par petits à-coups, quand soudain ça me prends, pour occuper quelques heures de train, pour m'empêcher de penser à autre chose. Puis je laisse en jachère. Je commence autre chose. Une autre langue, un nouvel instrument, un projet différent. Et toujours j'y reviens, ravie de voir que les mots me glissent sur la langue, me reviennent à l'esprit plus aisément que la dernière fois.
J'aime à synthétiser les choses, rédiger toujours plus clairement, réduire l'équation à son expression la plus simple, traduire sans fioritures. L'exercice est plaisant et me désencombre l'esprit. Je ne suis toujours pas convaincue de ce que la réforme de 2007 aie vraiment été judicieuse, mais qu'y faire, si ce n'est tenter de faire avec, du mieux que nous puissions ? Voyons les choses du bon côté : au final, la traduction ne s'apparente-t-elle pas à un genre de catalogage très élaboré ?

Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même à Andilly en juin 2011.
Ce texte et cette photo sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.

mardi 29 mai 2012

La métamorphose



Le 31 août dernier, je me suis retrouvée dans un petit trou noir de l'espace-temps, juste pour une journée. Plus vraiment documentaliste, pas encore bibliothécaire, j'ai passé ma journée à déménager et à m'interroger sur cette mutation d'identité en train de s'opérer.
Perdue au fond du trou, le fossé m'apparaissait immense et je n'étais pas sûre de savoir vraiment comment m'en extraire, comment me glisser dans cette nouvelle peau, comment devenir bibliothécaire ?

Si la question de l'identité devient un thème récurrent de ce blog, c'est qu'en quelque sorte, je suis toujours perdue. Comme je le disais précédemment, le rite de l'admission m'a mise en position d'être bibliothécaire, je n'avais plus qu'à agir en tant que telle.

Devenir bibliothécaire, c'était passer du côté de la politique de l'offre, devenir force de proposition, enfin avoir à gérer une collection. C'est aussi poursuivre certaines missions que proposaient le métier de documentaliste, tout en en laissant pour l'instant certaines sur le bas côté. La transmission de l'art de la recherche documentaire, de la veille, la recherche constante de l'autonomie des usagers, les inénarrables amusements de la bibliométrie.
Côté bibliothécaire aussi, et peut-être même plus encore, on retrouve ce souci de la transmission et de l'autonomie, même si elle prend parfois des formes très différentes.

Ma petite Bible personnelle, mon livre de cœur, exprime extrêmement bien cette sagesse des bibliothécaires, qui savent naviguer sans lire, qui savent trouver ce que l'on ne sait pas qu'on cherche. Le documentaliste qui explique aux chercheurs comment trouver les articles qui les intéresseront dans les méandres du Web en est très proche. J'aime le défi de la recherche et la joie d'avoir été utile, concrètement, en fournissant à l'usager ce dont il avait besoin.

Je ne suis pas encore sûre de savoir ce que sont les tréfonds du métier de bibliothécaire, je suis incapable d'en comprendre encore tous les tenants et aboutissants, mais je prends grand plaisir à les explorer, petit à petit, un livre ou un lecteur à la fois.

Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même à Paris en janvier 2012.
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lundi 21 mai 2012

Le rituel du concours



Je suis persuadée que, dans nos vies modernes d'adulescents mal dégrossis, nous manquons de repères, de jalons, de rites de passage. Je pense que c'est pour ça que le nombre total de mariages et de PACS continue d'augmenter d'années en années, que les "graduation ceremony" à l'américaine se répandent, ou que l'on se régale des cérémonies officielles, preuves vivantes de la continuité comme de la vivacité de notre République.

Au final, les concours de la fonction publique, ne font-ils pas eux aussi fonction de rites de passage ? Ces épreuves de culture générale démodées, ces grands oraux terrifiants, cette reproduction systématique des élites... Si pour l'institution ils font fonction d'outil de sélection parmi les candidats, que représentent-ils pour les reçus ?
J'ai choisi personnellement d'en faire un marqueur personnel de ma vie. J'ai survécu au rite, il y a un avant et un après : désormais, je suis bibliothécaire. Bourdieu a écrit il y a trente ans un article fort intéressant sur les rites où il disait :
"Celui qui est institué se sent sommé d'être conforme à sa définition, à la hauteur de sa fonction."
Et aussi :

""Deviens ce que tu es". Telle est la formule qui sous-tend la magie performative de tous les actes d'institution."
 Et c'est tout à fait ça : l'institution m'a dit que j'étais bibliothécaire, et par la force d'un bout de papier, je le suis devenue. Puisque je le suis, il faut que j'agisse comme telle, et je m'y efforce chaque jour ouvré.

Nous n'avons plus de véritables marqueurs de passage à l'âge adulte, les quelques évènements qui y conduisent se diluent par leur nombre et par l'allongement de l'adolescence : le dix-huitième anniversaire, le bac, les diplômes de l'enseignement supérieur, le premier salaire, la constitution du couple, la naissance des enfants... J'ajouterais donc à cette liste non-exhaustive et personnelle la réussite à un concours de la fonction publique.

Si nous manquons de rites dans nos vies modernes, nous avons néanmoins la possibilité de choisir et de s'approprier les nôtres propres, suivant l'importance que l'on accorde aux différents évènements de la vie. En devenant fonctionnaire stagiaire, j'ai choisi de faire cette étape un pas de plus sur mon chemin de l'âge adulte. Et je compte bien considérer ma future titularisation de la même manière et la fêter comme il se doit.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même au plateau du Retord en avril 2012.
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mardi 8 mai 2012

Dire et connaître




J'aime souvent à dire qu'on ne parle bien que de ce qu'on connaît. Ce qui, inéluctablement, me conduit à ne pas parler beaucoup, à longuement hésiter avant d'écrire, et à beaucoup me restreindre dans mes choix de sujets. Je parle donc de moi et de mes opinions, et j'ai beaucoup de difficultés à parler des autres et du monde : qui suis-je pour y connaître quoi que ce soit ? Comment être sûre de ne pas dire de bêtises ? Parfois je prends des risques, souvent je m'en veux a posteriori. Je débats peu, je ne connais pas les chiffres par cœur et l'aplomb des autres m'intimide : eux, ils ont l'air de savoir de quoi ils parlent. Parfois j'ai des doutes quant à la qualité de leurs sources et de leur raisonnement, mais je me trouve bien démunie pour leur répondre suivant ma propre éthique personnelle. La scientifique que je suis est incapable de dire quoi que ce soit sans analyser diverses sources fiables au préalable, et ce n'est pas vraiment adapté à la conversation à brûle-pourpoint. Au fond que sais-je ? Que crois-je savoir ?

Au final, ces réticences sont bien handicapantes face à un sujet de composition. Le bachotage aide. Pouvoir réciter des faits appris dans des livres, soit. Ça fait toujours des choses à rajouter dans la copie. Le jeu étant de réussir à réutiliser un maximum des quelques bribes de savoir accumulées, quelque soit le sujet posé. De quoi aurais-je pu parler sans trop de risques à propos de « la géographie, ça sert d'abord pour faire la guerre », quels faits aurais-je pu citer avec suffisamment de certitude pour les coucher sur ma copie ? Des grands explorateurs, de la colonisation, des cartes géologiques, des ressources en eau, du pétrole, de l'aménagement du territoire ? Soit. Mais une fois entrée dans le vif du sujet, j'ai toujours du mal à me départir d'un sentiment d'usurpation, de n'avoir rien à faire là. Je ne connais des explorateurs que quelques noms, de la colonisation que trois dates, des ressources en eaux que des schémas géologiques. Tout ça me paraît vain. Tenter de parler de choses qu'on connaît à peine comme si on en connaissait les tenants et les aboutissants... Je ne veux pas faire de la politique, juste être bibliothécaire !

Alors nous nous astreignons à cette tâche, pleins d'espoirs que, la prochaine fois, ce sera plus facile, ça passera mieux, on aura plus à dire... À l'usure, ça finira bien par passer, non ?

Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même à Bercy le 29 avril 2012.
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lundi 23 avril 2012

La grande course


 J'aime les soirées électorales. Je crois bien les avoir toujours vues comme une sorte de grande fête à laquelle chacun peu participer, une grande fête pour la République, un quatorze juillet hors saison avec les cris des foules et les souffles qui se suspendent, les chars et les feux d'artifices en moins. Je me rappelle, étant petite, avoir joué autour des isoloirs, à chaparder les bulletins dans les poubelles pour voir qui avait été mis au rebut par les grandes personnes, puis courir après les copains à travers le gymnase. Toute la journée, l'attente montait, on comptait les heures puis les minutes nous séparant du résultat et, privilège suprême, on était autorisés à regarder la télévision jusqu'à bien plus tard qu'habituellement pour enfin voir s'afficher les visages des vainqueurs sur la surface bleutée de l'écran...

C'était comme les Jeux Olympiques, avec moins d'épreuves et des coureurs moins beau, mais presque autant d'excitation dans l'air... Dans nos vies solitaires et étriquées, j'aime ces rappels à la communauté, savoir que chacun, à 19h59, retient son souffle, espérant de tout cœur que son candidat passe devant, qu'au même instant des milliers de gens lèveront les bras en signe de victoire ou s'affaisseront un peu dans leur fauteuils. Enfin, oui, je sais bien que je m'illusionne, que tout le monde n'est pas si investi dans cette petite minute de suspens, que nombreuses sont les estimations qui se passent sous le manteau virtuel, mais quoi ! Qu'importe ! Hier, j'ai fermé Twitter, j'ai clos mon navigateur, et je n'ai pas boudé mon plaisir en attendant 20h ! Nous avons regardé ensemble le décompte final, levé les bras en l'air, juré, parlementé jusqu'à plus soif en écoutant d'une oreille distraite les discours des divers concurrents...

C'est ce genre de moments qui me grisent et m'intoxiquent et me font aimer les concours jusqu'à plus soif. Les pieds dans les starting-blocks, tout est possible. A chacun de donner le meilleur de lui-même, d'aller au maximum de ses capacités, en se rappelant biens sûr que l'essentiel, c'est de participer... Non ? Une fois la course achevée, la dernière copie rendue, commence l'attente et le suspens, l'attente interminable qui vous empêche de vous concentrer sur vos tâches quotidiennes et qui vous réveille aux heures sombres de la nuit. Ah ! J'ai toujours préféré les sprints aux courses de fond ! Et puis soudain, après avoir incessamment rafraîchi la page pendant des jours, le lien vers les résultats apparaît sur l'écran. Une seconde, mon cœur s'arrête, juste le temps de prendre la mesure de l'instant. Dans une seconde, ma vie peut basculer. Clic.

C'est donc de tout mon cœur que j'envoie mes pensées de courage aux candidats de ce tour-ci. Une partie de moi-même aurait aimé courir à vos côtés... Mais ma raison voit bien que ce que j'aime plus que tout c'est la course, pas la victoire. Bah, pour les sensations fortes, je me rattraperais devant mon écran cet été...




Licence Creative Commons
Photo : prise par The World According to Marty.
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vendredi 30 mars 2012

La névrose du catalogueur



J'ai toujours voulu mettre de l'ordre dans le monde. C'est pour ça qu'à 10 ans je voulais être architecte : pour construire des maisons carrées où ranger les gens. Heureusement, je me suis vite aperçue de mon erreur d'appréciation de ce métier... En terminale, je voulais être taxonomiste, pour mettre des noms sur le vivant. En licence, paléontologue, pour déterminer la phylogénie des espèces. En master, hydrogéologue, pour simuler et comprendre la répartition des flux souterrains. Et maintenant bibliothécaire, grand ordonnateur du monde par excellence, indexeur de tous les savoirs, classificateur du sens.

Quand tout va mal, je range. Je trie les tiroirs à chaussettes, je réarrange les boîtes de conserves par date de péremption, je jette les vieux magazines. Et en mettant en forme l'espace autour de moi, mon esprit retrouve apaisement et clarté. Mon appartement n'est jamais aussi propre qu'en période de concours : pour ranger les savoirs dans ma tête, il me faut ranger les choses qui m'entourent. Au quotidien, l'état de désordre de ma chambre est un bon indicateur de mon état de désordre intérieur.
On dirait un cliché sur pattes, mais c'est bien vrai. Faut-il être névrosé pour devenir catalogueur ? Ou la névrose se développe-t-elle, s'entretient-elle, en cataloguant ? Les bibliothécaires sont-ils tous les maniaques que la littérature décrit ? J'espère bien que non. J'espère bien que nous ne sommes pas tous des autistes mal diagnostiqués, des rangeurs invétérés, des sorcières du placard à balais. Que ce n'est qu'une coïncidence.

En tout cas, j'ai l'impression que c'est un peu pour ça que j'ai du mal à m'adapter aux remous de la vie parisienne, aux remugles du métro, à l'inconstance d'une vie passée entre deux chez soi, une quinzaine d'heure de tgv par mois, comme si j'éparpillais mes organes internes tout du long de la route.
Mes habitudes salvatrices mettent des jours à se recréer. Je réapprends à vivre dans un environnement si différent de celui que je quitte, il me faut du temps pour reprendre mes marques. Puis il faut déjà repartir et tout recommencer de l'autre côté. Je me fais l'effet d'un Sisyphe en blue jeans.

Les jours où tout va mal, je me dis que je voudrais rentrer chez moi, et je m'aperçois que "chez moi" est devenu un lieu imaginaire, composite, auquel je ne sais pas accéder. Je finis par être plus chez moi dans mon bureau, où je peux ranger tranquillement les savoirs à leur place, cataloguer, rétro-cataloguer à l'envie, aller ranger des livres quand mes yeux sont trop fatigués pour supporter encore la brillance de l'écran. Il manquerait juste un oreiller pour pouvoir me rouler en boule sous mon bureau parfois...

Je suis convaincue qu'il suffit d'aller bien dans une part de sa vie pour pouvoir supporter tout le reste. En ce moment, au jour le jour, c'est le catalogage qui me permet de ne pas m'effondrer.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par mgysler.
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mardi 27 mars 2012

Identité professionnelle et états d'âme



Je n'ai pas compté exactement combien nous étions, ce lundi-là, à nous presser les unes contre les autres pour être rassurées par les instances dirigeantes quant au bien fondé et à l'avenir de notre profession. Je n'ai pas compté, donc, mais c'était tout à fait flagrant. Nous n'étions que des femmes. Enfin, il y avait bien une poignée d'hommes, dont deux sur scène, mais la masse féminine était insoutenable. Et j'ai ressenti un puissant malaise me criant que je n'étais pas à ma place. J'aurais dû m'y attendre pourtant, je connais bien les chiffres, mais c'était la première fois que j'assistais à un véritable rassemblement de bibliothécaires, et j'ai été choquée.

Ça m'emmerde beaucoup, mais j'ai profondément honte de faire un métier de filles. Cela date peut-être de mes études scientifiques pendant lesquelles, d'années en années, la proportion féminine s'amenuisait. J'étais dans mon élément parmi mes pairs masculins, j'étais heureuse de me destiner à un métier d'hommes (je n'ai pas les chiffres, mais je peux vous assurer que les chercheurs en sciences de la terre sont majoritairement mâles), pour leur prouver à tous, pour faire flancher les chiffres, par orgueil. Et puis j'ai finalement compris que le terrain n'était pas fait pour moi et un job de monitrice m'a menée en bibliothèque universitaire.

La bibliothèque universitaire, c'était un moindre mal. Le centre de documentation d'EPST, c'était vraiment bien. Tout pour ne pas faire "bibliothécaire pour mômes". Je ne suis pas maternelle, je ne suis pas fifille, je n'aime pas le rose. Je ne m'identifie pas aux métiers féminins, et bibliothécaire jeunesse semble être dans le top trois des professions de filles, avec institutrice et infirmière. Et femme au foyer. Alors quand, dans le cadre de mon nouveau poste universitaire, je me suis retrouvée à acquérir de la littérature jeunesse, ça m'a fichu un coup.

Mais pourquoi ? C'est trop idiot ! J'ai honte d'un métier que j'adore ! J'ai honte quand je pense à faire une incursion dans la territoriale pour raisons de mobilité. Rhô, j'étais forte en classe, j'aurais dû faire un métier d'hommes, ouvrir des voies, déjouer des plafonds de verre, plutôt que de me destiner à de basses tâches féminines ! J'ai honte, lorsque je me présente, d'énoncer mon métier. Il sonne comme une sorte d'échec. Je ne suis "que" bibliothécaire. Alors, tout de suite, je précise, je complète : je travaille dans une université ! J'ai affaire à un public professoral et estudiantin ! Je ne suis pas cette bibliothécaire-là, celle qui lis des histoires à des classes passives, qui reste derrière son bureau à surveiller, qui fait chut ! en agitant la main ! Non, ce n'est pas moi ! Non ! Non ?

Mais pourquoi ai-je d'imprimés dans mon cerveau tous ces préjugés idiots ? Je sais bien, rationnellement, que bibliothécaire territorial est un métier superbe et indispensable, de médiation et de vulgarisation, et je suis sûre que j'adorerais l'exercer, m'y fondre. Il faisait d'ailleurs partie de mes envies de départ, quand j'ai commencé à réfléchir à me réorienter vers les métiers du livre : comme ce serait formidable de vulgariser les sciences qui me sont si chères via les documents et les animations d'une médiathèque ! Comme ça me plairait de devenir actrice de la promotion de la lecture et de la culture dans ma ville !

Alors pourquoi, jusque dans mon cerveau, se perpétuent ces images sexistes ? Pourquoi "bibliothécaire jeunesse" reste un n.f. dans nos dictionnaires mentaux ? Où sont les hommes ? Qu'on me les montre ! Qu'ils se dénoncent ! Qu'ils se promeuvent ! Qu'ils nous montrent leur joie et leur fierté à exercer ce beau métier "de filles", de BDP en BM, d'heure du conte en accueils scolaires ! Qu'ils viennent réinvestir ces métiers dont ils s'étaient retirés pour laisser place aux femmes, emportant avec eux la valeur et le prestige de la tâche, les grands noms et les hauts salaires. Qu'on nous donne enfin une parité réelle, un monde où les métiers maternants ou méticuleux seront véritablement mixtes, où les petits garçons pourront pouponner et mettre du rose sans être mis à l'index par le reste du monde.

Au final, je m'en veux de me prendre ainsi la tête. Comme Caitlin Moran, je me pose la question : "are the boys doing it?". Les garçons s'inquiètent-ils de la sexuation de leur métier, passent-ils des heures à se triturer la cervelle pour savoir si, en choisissant tel travail, tel mode de vie, telles chaussures, ils ne délaissent pas le combat de leur genre, ils ne laissent pas tomber leurs comparses ? Non, semblent-ils dire, occupés qu'ils sont derrières leurs écrans, devant des rangées de berceaux, aux commandes de leurs camions, à quatre pattes devant le rayon des 305.42 à chercher une référence disparue.

"Then, we can use the technical term, and call it bullshit."

Ils s'en fichent. Ils faut donc nous en ficher aussi. Et avancer, et faire plutôt que de rester à cogiter. En espérant que nos filles n'éprouvent jamais ce sentiment d'échec idiot en choisissant un métier ni d'hommes, ni de femmes, juste un métier d'humains. Et un métier drôlement chouette qui plus est.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même au Père Lachaise en mars 2012.
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vendredi 23 mars 2012

Faut-il encore des bibliothécaires ?



J'étais lundi au salon du livre, dans le petit enclos où s'est déroulé le débat intitulé "Faut-il encore des bibliothécaires ?". La salle était comble, le sujet faussement provocateur, mais j'étais là, les oreilles grandes ouvertes, avec pour mission de tout raconter ensuite à mes collègues. Alors, toute occupée à ma prise de notes, je n'ai pas eu le réflexe, comme d'autres plus malins, de live-tweeter l'affaire.

C'est pourquoi, en lieu et place d'un témoignage "en direct", je propose ci-dessous, à ceux qui auront l'envie de les lire, les quelques notes que j'ai pu prendre.
Pour les autres, en voici un court résumé : ils ne faut pas avoir peur des bénévoles, ils déchargent les bibliothèques du travail social qui pourrait être mené en leur sein. Ils ne faut pas non plus avoir peur des autres corps de métiers qu'on peut trouver dans nos établissements : ils sont là pour nous aider, pas pour prendre notre place. Voilà. En gros. Pour les détails, je vous laisse voir ci-dessous.

Faut-il encore des bibliothécaires (dans les bibliothèques) ?


Débat entre Anne-Marie Bertrand, Dominique Arot et Marie-Christine Pascal ; animé par Christophe Pavlidès.

Anne-Marie Bertrand : Michel Melot a écrit que bibliothécaire est « un métier incertain ». Il y a une certaine indéfinition du métier.

Les techniques que doivent employer les bibliothécaires peuvent être à la fois techniques, relationnelles, managériales et stratégiques. Stratégiques car conservateur est un métier politique : il faut analyser, évaluer son environnement, faire de la conception, de la mise en œuvre de projets, rendre des comptes.

Pour acquérir toutes ces compétences, la formation initiale ne suffit pas. La formation continue est indispensable.

Dominique Arot : le grand nombre de personnes venues assister à cette conférence [il y avait des gens assis par terre, la salle était pleine à craquer] témoigne de la passion des bibliothécaires pour leur propre métier.

La création de l’ABF en 1906 s’est faite autour de la définition du bibliothécaire comme étant un métier. Le questionnement est constitutif de notre activité.

Certaines des activités qui faisaient l’image traditionnelle des bibliothèques sont en train de disparaître (prêt, catalogage) au profit de nouvelles questions comme la médiation (accompagnement des lecteurs, accueil sur place et à distance). Cela nécessite l’arrivée de nouveaux métiers au sein de la bibliothèque (communication, formation, etc.). Par exemple, il a été démontré que les universités qui ont su modérer l’échec en premier cycle sont celles qui ont mis en place des formations documentaires.

Il existe un cloisonnement entre les fonctions publiques. Par exemple il n’y a pas de conservateurs généraux territoriaux et la fonction territoriale tend à être pensée comme inférieure à la fonction d’Etat. Il faudrait faciliter la diversité des carrières, comme dans les bibliothèques anglo-saxonnes. Nous sommes dans un secteur qui recrute, malgré la crise. A l’avenir peut-être pourrait-il ne plus y avoir de monopole d’emploi des bibliothécaires par la fonction publique (par exemple, entreprises fournissant des livres pré-catalogués…).

Marie-Christine Pascal : 2011 était pour l’Union Européenne l’année du bénévolat et du volontariat. Dans ses propositions en 2010 pour le livre, Frédéric Mitterrand proposait la mise en place d’un état des lieux sur les bénévoles en bibliothèques publiques. C’est ce qu’a effectué Mme Pascal, dans un rapport rendu au ministère de la Culture et de la Communication.

Les réseaux des BDP comptent au moins 52 000 bénévoles (soit 84% des personnels). 30% d’entre eux ont obtenu une qualification auprès de l’ABF ou des BDP. Il y a plus de 2 200 bénévoles dans les communes de 10 000 à 200 000 habitants, soit dans 113 communes. Les communes de taille plus élevée n’emploient pas de bénévoles dans leurs bibliothèques.

Le bénévolat associatif représente plus de 19 000 bénévoles, dans des associations telles que l’AFEV (présente dans 41 villes), ATD quart-monde (présente dans 44 villes) ou Lire et faire lire (présente dans 5 500 structures).

Au total, les bénévoles sont plus de 73 000 en France. Ce chiffre est à comparer avec les 36 300 agents territoriaux employés dans des bibliothèques.

Dans les réseaux des BDP, les bénévoles font de la gestion de bibliothèque. D’ailleurs, plus de 3 000 bénévoles sont directement responsables d’une bibliothèque. Les bénévoles associatifs font plutôt de la médiation, de la lecture hors les murs.

Anne-Marie Bertrand : les élèves conservateurs sont prêts à cohabiter pacifiquement avec les autres corps de métiers présents en bibliothèque. Pour citer Michel Melot, « comme dans un navire, dans une bibliothèque on a besoin de plusieurs métiers ».

On retrouve en bibliothèque des administratifs, des communiquants, des juristes, etc. Ces personnels peuvent avoir des statuts différents (provenir d’autres filières ou être contractuels) ou fournir des services externalisés. Certains conservateurs s’éloignent même de leur cœur de métier (notamment à l’ENSSIB ou la BPI, ils peuvent faire notamment de la recherche).

Les bibliothèques ont besoin de médiathécaires, de discothécaires, de vidéothécaires… bref, de machins-thécaires !

Dominique Arot : L’inspection générale des bibliothèques s’intéresse à la formation des professionnels et à leur recrutement et s’interroge sur le devenir des emplois en bibliothèque (évolution des catégories, etc.). Il s’agit de dresser une réalité de l’emploi en bibliothèque puis de saisir les tendances, les évolutions possibles. Un rapport sera publié sur le sujet fin 2012.

On peut parfois observer un réinvestissement d’une activité extra-professionnelle dans la sphère professionnelle (exemple des réseaux sociaux : ce sont les agents actifs personnellement qui sont aussi actifs professionnellement sur ces plateformes).

En France, on observe une attitude frileuse vis-à-vis des bénévoles. Mais ce sont eux qui permettent de faire entrer le social en bibliothèque (par exemple, lecture au domicile d’enfants en difficultés ou à l’école par des séniors). Il faut que les usagers aient leur place dans l’établissement, y compris pour prendre en compte leurs compétences.

Marie-Christine Pascal : il y a une méconnaissance réciproque entre associations et institutions. Il faudrait mettre en place des formations, des liens, des partenariats.

Le remplacement craint de salariés par des bénévoles n’a pas eu lieu. En effet, les bénévoles se placent sur des axes sur lesquels les bibliothécaires ou les élus ne veulent ou ne peuvent pas aller, comme aller au devant des publics empêchés par exemple (on ne veut pas « faire du social » en bibliothèque, « ce n’est pas notre métier »).

Il serait alors peut-être temps de se reposer la question des missions des bibliothèques. Il faudrait créer du lien social entre les bibliothèques et leurs publics. Ne serait-il pas temps de mettre le lecteur au cœur de notre métier ?


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Photo : prise par Shutterhacks.
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mercredi 21 mars 2012

Se préparer à la réussite



J'ai reçu ma convocation au concours de conservateur externe et, non, je n'irais pas. Je l'ai jetée, je suis déterminée, je n'irais pas cette année. Mais cela m'a fait repenser à l'an dernier, à toutes ces heures à m'user les fonds de pantalon sur des bancs d'école, à composer, à synthétiser. Tous mes congés ou presque passés à réviser. Et puis l'oral, la fierté de pouvoir défendre en personne ma candidature, la fierté d'être reçue. Et puis la peur, la peur immense. Car personne ne nous l'a jamais dit ça, ce qu'il se passe, une fois reçu.

J'ai épluché le Web à la recherche de témoignages, d'informations, de bribes. J'ai rédigé des messages sur des forums. Je me suis même fait violence et je suis allée interroger les bibliothécaires de la BU d'à côté. J'ai passé deux semaines d'angoisse à attendre le courrier explicatif du ministère. Mais leur message sibyllin n'a pas su répondre à toutes mes interrogations. Et je crois que c'est à ce moment-là que je me suis dit que, si j'avais un blog, j'irais témoigner de ce qui se passe *après* avoir été reçu. Pour que d'autres puissent faire baisser un peu leur taux d'anxiété et accueillir plus sereinement la suite, contrairement à moi.

Tout ce que je vais décrire ici concerne mon expérience de reçue au concours de Bibliothécaire adjoint/assistant spécialisé externe, mais je suppose que certaines parties peuvent être transposées à d'autres concours des bibliothèques d’État (quoique pour le passage à l'Enssib des catégories A, c'est pour moi le noir complet). N'hésitez pas à compléter / corriger mon propos dans les commentaires si vous avez d'autres points à ajouter.


Voilà, votre nom est apparu dans la liste, vous avez sauté de joie et trinqué à qui mieux mieux. Que se passe-t-il ensuite ?
- D'ici une ou deux semaines, vous recevrez les instructions officielles du ministère par courrier ;
- Sachez déjà qu'ils vont vous renvoyer vers le serveur Poppée dédié à la gestion des personnels des bibliothèques et, que dans un futur proche, la liste de établissements proposant des postes "au concours" y sera affiché ;
- Pas de suspens de ce côté-là : environ 80% des postes proposés seront sur Paris ;
- Il vous faudra appeler chaque établissement (en espérant que le numéro fourni soit le bon ou en tâtonnant jusqu'à trouver un interlocuteur bienveillant) pour obtenir une fiche de poste, ou tout du moins une description succincte ;
- Ce que personne ne dit, c'est que vous êtes sensé essayer d'obtenir un rendez-vous avec les responsables des bibliothèques qui vous intéressent, comme pour un entretien d'embauche, et y faire bonne figure ;
- Dans les faits, certains voudront bien se contenter d'un entretien téléphonique ;
- Dans tous les cas, préparez-vous à passer de nombreuses heures au téléphone aux heures de bureau (comme c'est pratique... j'aurais bien pris des jours de congé juste pour m'occuper de ça mais ils étaient déjà tous partis dans la préparation et le passage des concours : soyez plus malins que moi, gardez-en un ou deux !) ;
- Une fois le délai officiel de réflexion achevé, il vous faut renvoyer une liste de vœux (cinq je crois ?) au ministère ;
- Les établissements aussi peuvent énoncer des vœux quand aux candidats qu'ils souhaiteraient accueillir (mais d'après les directeurs à qui j'ai pu en parler, leur prise en compte reste assez minime) ;
- Il faut aussi renvoyer aux ressources humaines du ministère tout un tas de paperasses administratives, enfin la routine habituelle quoi ;
- Le ministère fait sa tambouille, entre le classement des candidats, les vœux des uns et des autres, le cycle de la lune et, environ deux semaines plus tard (si mes souvenirs sont justes), votre affectation apparaît sur Poppée (joie ? horreur ? consternation ?) ;
- Il faut renvoyer un papier pour accepter ladite affectation ;
- Et n'oubliez pas de contacter votre nouvel établissement, non seulement pour savoir où et quand débarquer chez eux, mais aussi parce que *leurs* ressources humaines auront aussi besoin de tout un tas de paperasse.

Bonnes chances à tout ceux pour qui les dates d'admissibilité se rapprochent à grands pas !


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même dans l'Ain en juillet 2011.
Ce texte et cette photo sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.