vendredi 23 mars 2012

Faut-il encore des bibliothécaires ?



J'étais lundi au salon du livre, dans le petit enclos où s'est déroulé le débat intitulé "Faut-il encore des bibliothécaires ?". La salle était comble, le sujet faussement provocateur, mais j'étais là, les oreilles grandes ouvertes, avec pour mission de tout raconter ensuite à mes collègues. Alors, toute occupée à ma prise de notes, je n'ai pas eu le réflexe, comme d'autres plus malins, de live-tweeter l'affaire.

C'est pourquoi, en lieu et place d'un témoignage "en direct", je propose ci-dessous, à ceux qui auront l'envie de les lire, les quelques notes que j'ai pu prendre.
Pour les autres, en voici un court résumé : ils ne faut pas avoir peur des bénévoles, ils déchargent les bibliothèques du travail social qui pourrait être mené en leur sein. Ils ne faut pas non plus avoir peur des autres corps de métiers qu'on peut trouver dans nos établissements : ils sont là pour nous aider, pas pour prendre notre place. Voilà. En gros. Pour les détails, je vous laisse voir ci-dessous.

Faut-il encore des bibliothécaires (dans les bibliothèques) ?


Débat entre Anne-Marie Bertrand, Dominique Arot et Marie-Christine Pascal ; animé par Christophe Pavlidès.

Anne-Marie Bertrand : Michel Melot a écrit que bibliothécaire est « un métier incertain ». Il y a une certaine indéfinition du métier.

Les techniques que doivent employer les bibliothécaires peuvent être à la fois techniques, relationnelles, managériales et stratégiques. Stratégiques car conservateur est un métier politique : il faut analyser, évaluer son environnement, faire de la conception, de la mise en œuvre de projets, rendre des comptes.

Pour acquérir toutes ces compétences, la formation initiale ne suffit pas. La formation continue est indispensable.

Dominique Arot : le grand nombre de personnes venues assister à cette conférence [il y avait des gens assis par terre, la salle était pleine à craquer] témoigne de la passion des bibliothécaires pour leur propre métier.

La création de l’ABF en 1906 s’est faite autour de la définition du bibliothécaire comme étant un métier. Le questionnement est constitutif de notre activité.

Certaines des activités qui faisaient l’image traditionnelle des bibliothèques sont en train de disparaître (prêt, catalogage) au profit de nouvelles questions comme la médiation (accompagnement des lecteurs, accueil sur place et à distance). Cela nécessite l’arrivée de nouveaux métiers au sein de la bibliothèque (communication, formation, etc.). Par exemple, il a été démontré que les universités qui ont su modérer l’échec en premier cycle sont celles qui ont mis en place des formations documentaires.

Il existe un cloisonnement entre les fonctions publiques. Par exemple il n’y a pas de conservateurs généraux territoriaux et la fonction territoriale tend à être pensée comme inférieure à la fonction d’Etat. Il faudrait faciliter la diversité des carrières, comme dans les bibliothèques anglo-saxonnes. Nous sommes dans un secteur qui recrute, malgré la crise. A l’avenir peut-être pourrait-il ne plus y avoir de monopole d’emploi des bibliothécaires par la fonction publique (par exemple, entreprises fournissant des livres pré-catalogués…).

Marie-Christine Pascal : 2011 était pour l’Union Européenne l’année du bénévolat et du volontariat. Dans ses propositions en 2010 pour le livre, Frédéric Mitterrand proposait la mise en place d’un état des lieux sur les bénévoles en bibliothèques publiques. C’est ce qu’a effectué Mme Pascal, dans un rapport rendu au ministère de la Culture et de la Communication.

Les réseaux des BDP comptent au moins 52 000 bénévoles (soit 84% des personnels). 30% d’entre eux ont obtenu une qualification auprès de l’ABF ou des BDP. Il y a plus de 2 200 bénévoles dans les communes de 10 000 à 200 000 habitants, soit dans 113 communes. Les communes de taille plus élevée n’emploient pas de bénévoles dans leurs bibliothèques.

Le bénévolat associatif représente plus de 19 000 bénévoles, dans des associations telles que l’AFEV (présente dans 41 villes), ATD quart-monde (présente dans 44 villes) ou Lire et faire lire (présente dans 5 500 structures).

Au total, les bénévoles sont plus de 73 000 en France. Ce chiffre est à comparer avec les 36 300 agents territoriaux employés dans des bibliothèques.

Dans les réseaux des BDP, les bénévoles font de la gestion de bibliothèque. D’ailleurs, plus de 3 000 bénévoles sont directement responsables d’une bibliothèque. Les bénévoles associatifs font plutôt de la médiation, de la lecture hors les murs.

Anne-Marie Bertrand : les élèves conservateurs sont prêts à cohabiter pacifiquement avec les autres corps de métiers présents en bibliothèque. Pour citer Michel Melot, « comme dans un navire, dans une bibliothèque on a besoin de plusieurs métiers ».

On retrouve en bibliothèque des administratifs, des communiquants, des juristes, etc. Ces personnels peuvent avoir des statuts différents (provenir d’autres filières ou être contractuels) ou fournir des services externalisés. Certains conservateurs s’éloignent même de leur cœur de métier (notamment à l’ENSSIB ou la BPI, ils peuvent faire notamment de la recherche).

Les bibliothèques ont besoin de médiathécaires, de discothécaires, de vidéothécaires… bref, de machins-thécaires !

Dominique Arot : L’inspection générale des bibliothèques s’intéresse à la formation des professionnels et à leur recrutement et s’interroge sur le devenir des emplois en bibliothèque (évolution des catégories, etc.). Il s’agit de dresser une réalité de l’emploi en bibliothèque puis de saisir les tendances, les évolutions possibles. Un rapport sera publié sur le sujet fin 2012.

On peut parfois observer un réinvestissement d’une activité extra-professionnelle dans la sphère professionnelle (exemple des réseaux sociaux : ce sont les agents actifs personnellement qui sont aussi actifs professionnellement sur ces plateformes).

En France, on observe une attitude frileuse vis-à-vis des bénévoles. Mais ce sont eux qui permettent de faire entrer le social en bibliothèque (par exemple, lecture au domicile d’enfants en difficultés ou à l’école par des séniors). Il faut que les usagers aient leur place dans l’établissement, y compris pour prendre en compte leurs compétences.

Marie-Christine Pascal : il y a une méconnaissance réciproque entre associations et institutions. Il faudrait mettre en place des formations, des liens, des partenariats.

Le remplacement craint de salariés par des bénévoles n’a pas eu lieu. En effet, les bénévoles se placent sur des axes sur lesquels les bibliothécaires ou les élus ne veulent ou ne peuvent pas aller, comme aller au devant des publics empêchés par exemple (on ne veut pas « faire du social » en bibliothèque, « ce n’est pas notre métier »).

Il serait alors peut-être temps de se reposer la question des missions des bibliothèques. Il faudrait créer du lien social entre les bibliothèques et leurs publics. Ne serait-il pas temps de mettre le lecteur au cœur de notre métier ?


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Photo : prise par Shutterhacks.
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