mardi 29 mai 2012

La métamorphose



Le 31 août dernier, je me suis retrouvée dans un petit trou noir de l'espace-temps, juste pour une journée. Plus vraiment documentaliste, pas encore bibliothécaire, j'ai passé ma journée à déménager et à m'interroger sur cette mutation d'identité en train de s'opérer.
Perdue au fond du trou, le fossé m'apparaissait immense et je n'étais pas sûre de savoir vraiment comment m'en extraire, comment me glisser dans cette nouvelle peau, comment devenir bibliothécaire ?

Si la question de l'identité devient un thème récurrent de ce blog, c'est qu'en quelque sorte, je suis toujours perdue. Comme je le disais précédemment, le rite de l'admission m'a mise en position d'être bibliothécaire, je n'avais plus qu'à agir en tant que telle.

Devenir bibliothécaire, c'était passer du côté de la politique de l'offre, devenir force de proposition, enfin avoir à gérer une collection. C'est aussi poursuivre certaines missions que proposaient le métier de documentaliste, tout en en laissant pour l'instant certaines sur le bas côté. La transmission de l'art de la recherche documentaire, de la veille, la recherche constante de l'autonomie des usagers, les inénarrables amusements de la bibliométrie.
Côté bibliothécaire aussi, et peut-être même plus encore, on retrouve ce souci de la transmission et de l'autonomie, même si elle prend parfois des formes très différentes.

Ma petite Bible personnelle, mon livre de cœur, exprime extrêmement bien cette sagesse des bibliothécaires, qui savent naviguer sans lire, qui savent trouver ce que l'on ne sait pas qu'on cherche. Le documentaliste qui explique aux chercheurs comment trouver les articles qui les intéresseront dans les méandres du Web en est très proche. J'aime le défi de la recherche et la joie d'avoir été utile, concrètement, en fournissant à l'usager ce dont il avait besoin.

Je ne suis pas encore sûre de savoir ce que sont les tréfonds du métier de bibliothécaire, je suis incapable d'en comprendre encore tous les tenants et aboutissants, mais je prends grand plaisir à les explorer, petit à petit, un livre ou un lecteur à la fois.

Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même à Paris en janvier 2012.
Ce texte et cette photo sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.

lundi 21 mai 2012

Le rituel du concours



Je suis persuadée que, dans nos vies modernes d'adulescents mal dégrossis, nous manquons de repères, de jalons, de rites de passage. Je pense que c'est pour ça que le nombre total de mariages et de PACS continue d'augmenter d'années en années, que les "graduation ceremony" à l'américaine se répandent, ou que l'on se régale des cérémonies officielles, preuves vivantes de la continuité comme de la vivacité de notre République.

Au final, les concours de la fonction publique, ne font-ils pas eux aussi fonction de rites de passage ? Ces épreuves de culture générale démodées, ces grands oraux terrifiants, cette reproduction systématique des élites... Si pour l'institution ils font fonction d'outil de sélection parmi les candidats, que représentent-ils pour les reçus ?
J'ai choisi personnellement d'en faire un marqueur personnel de ma vie. J'ai survécu au rite, il y a un avant et un après : désormais, je suis bibliothécaire. Bourdieu a écrit il y a trente ans un article fort intéressant sur les rites où il disait :
"Celui qui est institué se sent sommé d'être conforme à sa définition, à la hauteur de sa fonction."
Et aussi :

""Deviens ce que tu es". Telle est la formule qui sous-tend la magie performative de tous les actes d'institution."
 Et c'est tout à fait ça : l'institution m'a dit que j'étais bibliothécaire, et par la force d'un bout de papier, je le suis devenue. Puisque je le suis, il faut que j'agisse comme telle, et je m'y efforce chaque jour ouvré.

Nous n'avons plus de véritables marqueurs de passage à l'âge adulte, les quelques évènements qui y conduisent se diluent par leur nombre et par l'allongement de l'adolescence : le dix-huitième anniversaire, le bac, les diplômes de l'enseignement supérieur, le premier salaire, la constitution du couple, la naissance des enfants... J'ajouterais donc à cette liste non-exhaustive et personnelle la réussite à un concours de la fonction publique.

Si nous manquons de rites dans nos vies modernes, nous avons néanmoins la possibilité de choisir et de s'approprier les nôtres propres, suivant l'importance que l'on accorde aux différents évènements de la vie. En devenant fonctionnaire stagiaire, j'ai choisi de faire cette étape un pas de plus sur mon chemin de l'âge adulte. Et je compte bien considérer ma future titularisation de la même manière et la fêter comme il se doit.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même au plateau du Retord en avril 2012.
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mardi 8 mai 2012

Dire et connaître




J'aime souvent à dire qu'on ne parle bien que de ce qu'on connaît. Ce qui, inéluctablement, me conduit à ne pas parler beaucoup, à longuement hésiter avant d'écrire, et à beaucoup me restreindre dans mes choix de sujets. Je parle donc de moi et de mes opinions, et j'ai beaucoup de difficultés à parler des autres et du monde : qui suis-je pour y connaître quoi que ce soit ? Comment être sûre de ne pas dire de bêtises ? Parfois je prends des risques, souvent je m'en veux a posteriori. Je débats peu, je ne connais pas les chiffres par cœur et l'aplomb des autres m'intimide : eux, ils ont l'air de savoir de quoi ils parlent. Parfois j'ai des doutes quant à la qualité de leurs sources et de leur raisonnement, mais je me trouve bien démunie pour leur répondre suivant ma propre éthique personnelle. La scientifique que je suis est incapable de dire quoi que ce soit sans analyser diverses sources fiables au préalable, et ce n'est pas vraiment adapté à la conversation à brûle-pourpoint. Au fond que sais-je ? Que crois-je savoir ?

Au final, ces réticences sont bien handicapantes face à un sujet de composition. Le bachotage aide. Pouvoir réciter des faits appris dans des livres, soit. Ça fait toujours des choses à rajouter dans la copie. Le jeu étant de réussir à réutiliser un maximum des quelques bribes de savoir accumulées, quelque soit le sujet posé. De quoi aurais-je pu parler sans trop de risques à propos de « la géographie, ça sert d'abord pour faire la guerre », quels faits aurais-je pu citer avec suffisamment de certitude pour les coucher sur ma copie ? Des grands explorateurs, de la colonisation, des cartes géologiques, des ressources en eau, du pétrole, de l'aménagement du territoire ? Soit. Mais une fois entrée dans le vif du sujet, j'ai toujours du mal à me départir d'un sentiment d'usurpation, de n'avoir rien à faire là. Je ne connais des explorateurs que quelques noms, de la colonisation que trois dates, des ressources en eaux que des schémas géologiques. Tout ça me paraît vain. Tenter de parler de choses qu'on connaît à peine comme si on en connaissait les tenants et les aboutissants... Je ne veux pas faire de la politique, juste être bibliothécaire !

Alors nous nous astreignons à cette tâche, pleins d'espoirs que, la prochaine fois, ce sera plus facile, ça passera mieux, on aura plus à dire... À l'usure, ça finira bien par passer, non ?

Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même à Bercy le 29 avril 2012.
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